J.O. 182 du 7 août 2004
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Mémoire en réplique des députés signataires du recours dirigé contre la loi relative à la bioéthique
NOR : CSCL0407520X
Les observations du Gouvernement datées du 21 juillet 2004 appellent, en retour, les brèves observations suivantes.
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I. - Sur la portée des dispositions contestées par rapport au droit en vigueur, le Gouvernement critique le caractère catégorique de la saisine quant à l'autorisation par la loi déférée de ce que la loi de 1994 avait interdit.
Le raisonnement tenu à cet égard par le Gouvernement confine, lui, au paradoxe. Si on le suit, la loi de 1994, qui a eu pour objet de garantir l'absence de caractère patrimonial du corps humain, aurait été privée de cet effet protecteur à l'égard précisément de la brevetabilité du vivant, alors que la loi déférée qui, comme le concèdent ses observations, a bien pour objet de permettre qu'un brevet puisse porter sur un élément du corps humain aurait pour effet, elle, de renforcer, de ce point de vue, la garantie de la sauvegarde de la dignité humaine.
Les auteurs de la saisine n'ont déféré au Conseil constitutionnel ni la nouvelle rédaction de l'article L. 611-17, ni le premier alinéa de l'article L. 611-18, ni les quatrième à septième alinéas du même article L. 611-18. S'ils doutent d'ailleurs que l'on puisse raisonnablement soutenir que la loi de 1994 et la décision du Conseil constitutionnel n°s 94-343/344 DC du 27 juillet 1994 n'auraient pu interdire les errements visés dans ces dispositions, ils n'ont de toute façon jamais soutenu que le droit national, ni par lui-même ni pour l'application d'une disposition communautaire quelconque, les auraient rendus possibles.
Le constat de départ des auteurs de la saisine ne semble donc pas contesté : l'article 17 prévoit bien qu'un brevet puisse porter sur un élément du corps humain.
II. - Les auteurs de la saisine ne défèrent pas non plus au Conseil constitutionnel le droit des brevets en tant que tel, ni dans son ensemble, ni dans un de ses mécanismes en particulier, y compris s'agissant de la notion de dépendance. Ils prennent acte, comme le Gouvernement, de l'existence de cette notion inhérente au droit des brevets.
Le constat des auteurs de la saisine ne semble donc pas contesté : l'article 17 fait entrer dans le champ des règles de dépendance au sens du droit des brevets un brevet portant sur un élément du corps humain.
III. - Le Gouvernement soutient que l'article 17 déféré au Conseil constitutionnel encadre de façon précise la portée des brevets délivrés sur les séquences géniques. La démonstration du Gouvernement se borne à rappeler ces limitations. On doit d'ailleurs relever que cet argument est tantôt présenté comme l'apport spécifique du législateur, en termes de garantie des droits fondamentaux, pour limiter les risques de dérives inhérents à l'approche de la directive, tantôt comme la conséquence nécessaire des dispositions inconditionnelles de cette directive. Les auteurs de la saisine n'ont, eux, jamais varié dans leur appréciation ou leur présentation, que ce soit au cours des débats parlementaires ou dans leur saisine. Ils ont constamment souligné que le raisonnement qui fonde l'article 17 n'est pas la solution au problème soulevé par l'inclusion d'un gène ou d'une séquence génique dans un brevet mais le problème lui-même.
Comme il a déjà été soutenu par les auteurs de la saisine, toute l'argumentation du Gouvernement est fondée sur une approche en termes de découpage des gènes. Le caractère illusoire de cette distinction et de la limitation qu'elle prétend apporter n'est pas une affirmation péremptoire des auteurs de la saisine. Les travaux préparatoires font état des contestations du caractère opératoire de cette approche. Par exemple, et parmi d'autres, l'Académie des sciences a souligné dans une déclaration du 26 juin 2000 que la détermination de la séquence d'un gène exige son clonage par des procédés techniques d'ailleurs aujourd'hui devenus bien classiques, ce qui élimine en réalité toute restriction au dépôt de brevet sur des gènes ou des fragments de gènes. La manipulation technique qui emporte l'inclusion du gène ou de la séquence génique dans le brevet est un passage obligé pour la connaissance du gène, dans ses fonctions diverses.
Les auteurs de la saisine maintiennent donc leur critique : la limitation prétendument apportée par le législateur à la portée des brevets délivrés sur les séquences géniques n'est pas opératoire dans le cas des brevets de produits incluant un gène ou la séquence partielle d'un gène.
IV. - Le Gouvernement conteste l'invocabilité de l'article 11 de la Déclaration de 1789 en la matière au motif que le brevet contribue à la diffusion des informations techniques. Les auteurs de la saisine ne se situent pas sur ce plan global. Le Gouvernement retient une approche globale, celle qui tiendrait au constat de la somme des informations rendues publiques par tous les brevets, c'est-à-dire l'ensemble des premiers brevets et l'ensemble de leurs brevets dépendants. L'invocabilité de l'article 11 concerne, elle, les conséquences de la hiérarchie qui s'installe entre l'inventeur du premier brevet et l'inventeur du brevet dépendant, compte tenu de l'absence de caractère opératoire de la garantie prétendument apportée par l'approche en termes de découpage des gènes. Une appropriation de la connaissance apparaît bien. La question soulevée par les auteurs de la saisine est donc celle de l'atteinte aux droits du second inventeur de voir garantie la plénitude de son accès à la connaissance.
Au surplus, ce déséquilibre aura, lui aussi, dans l'approche d'ensemble mise en avant par le Gouvernement, des effets cumulatifs, qui ne peuvent qu'aboutir à une moindre dynamique de la recherche, du processus d'innovation et de la diffusion du savoir scientifique.
Les auteurs de la saisine maintiennent leur appréciation que l'article 17 emporte une atteinte excessive à la libre communication des pensées garantie par l'article 11 de la Déclaration de 1789.
V. - Par divers arguments, de fait ou de droit, le Gouvernement conteste au Conseil constitutionnel le droit d'exercer son office dans le cas de la saisine portant sur l'article 17 de la loi relative à la bioéthique. Ces arguments appellent les observations suivantes :
L'article 61 de la Constitution ne permet de déférer les lois au Conseil constitutionnel qu'avant leur promulgation. S'agissant d'un contrôle a priori, le constat fait par le Gouvernement qu'aucun des brevets européens rendus applicables en France n'a, depuis 2002, donné lieu à des actions en nullité fondées sur une éventuelle contrariété à l'ordre public est sans incidence sur la question de la validité juridique de la cause soumise à l'appréciation du Conseil constitutionnel.
La considération tenant à la condamnation en manquement de la France, par la Cour de justice des Communautés européennes, pour le retard de transposition de la directive relative à la protection des inventions biotechnologiques ne saurait interdire, par elle-même, au Conseil constitutionnel d'examiner la constitutionnalité d'une loi, procédant à cette transposition, au regard d'une disposition expresse de la Constitution. Si l'on devait accueillir le raisonnement du Gouvernement, il suffirait de ne pas respecter les obligations au titre de l'article 88-1 de la Constitution pour interdire en pratique d'examiner, sur saisine dans les conditions prévues par l'article 61 de la Constitution, la constitutionnalité d'une loi de transposition au regard d'une disposition expresse de la Constitution.
Le constat de l'expiration du délai de transposition de la directive pour interdire au juge d'exercer son office du fait de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (notamment CJCE, 10 avril 1984, von Colson et Kamann C-14/83), le droit communautaire rendant impossible une démarche non conciliatrice, est étranger à la question soulevée par la saisine par référence à la décision no 2004-496 DC du 10 juin 2004.
Le constat que l'article 17 se bornerait à tirer les conséquences nécessaires des prescriptions précises et inconditionnelles d'une directive communautaire dont la transposition interne est une exigence constitutionnelle n'interdit pas de vérifier que cet article ne méconnaît les dispositions expresses de l'article 11 de la Déclaration de 1789 (décision no 2004-496 DC du 10 juin 2004). Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs subordonné le constat d'une portée juridique se bornant à tirer les conséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et précises d'une directive à l'existence d'une réserve d'interprétation (considérant 9 et article 2 de la décision no 2004-496 DC).
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Après avoir pris connaissance des observations du Gouvernement, les auteurs de la saisine maintiennent que l'article 17 méconnaît manifestement l'article 11 de la Déclaration de 1789 et, pour ces raisons, ne peut qu'être censuré.